L’acceptabilité sociale de l’innovation : un essai de modélisation.

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Acceptabilité sociale et légitimité de l’innovation urbaine, Appropriation & usage numérique

Plusieurs milliers de Français ont refusé l’installation du compteur électrique « Linky » au sein de leur foyer.  Cette innovation n’a ainsi pas remporté un franche succès de la part des usagers, car elle éveille des craintes liées à sa propre santé ou est perçue comme intrusion vis-à-vis de ses données personnelles.

Ce cas d’opposition est loin d’être unique. En effet, les innovations sont particulièrement concernées par ce climat polémique et les phénomènes de refus social se sont même multipliés au cours de la dernière décennie (Otway et Von Winterfeldt, 1982 ; Baba et Raufflet, 2015).

Dans cette dynamique, le terme « d’acceptabilité sociale » émerge comme un impératif à nécessairement considérer. Ainsi, décideurs, praticiens ou encore chercheurs s’intéressent à la manière dont les consommateurs comprennent, évaluent et réagissent face à des projets innovants qui tendent à déstabiliser le système social en place.

 

L’acceptabilité sociale de l’innovation : du jugement de l’usager au contexte social

L’acceptabilité sociale de l’innovation peut se définir comme « le jugement que l’individu porte sur la faisabilité (économique et pratique), la désirabilité (bénéfices / risques) et l’équité (interne / externe) d’une innovation en fonction de ses impacts sur la société au sens large (humains, sociaux, environnementaux, économiques, esthétiques, etc.) et qui le conduit à s’opposer, à soutenir ou à ne pas réagir à sa diffusion » N’Goala (2021).

Autrement dit, l’acceptabilité sociale de l’innovation comprend : la faisabilité, la désirabilité et l’équité.

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– La faisabilité : l’innovation doit être économiquement et physiquement réalisable. En effet, la rentabilité économique et les diverses contraintes (technologies, climat, capital humain, etc.) constituent deux enjeux managériaux que l’entreprise doit considérer. Notamment, pour garantir une bonne réception du projet auprès des usagers.

– La désirabilité : une innovation est considérée comme désirable quand elle apporte un niveau significatif de bénéfices pour la société en comparaison des risques qu’elle lui fait prendre, que ce soit en termes économiques, écologiques, humains, sociaux ou encore esthétiques.

– L’équité : l’innovation se doit d’être équitable, c’est-à-dire produire une réciprocité dans les divers avantages et inconvénients assignés à toutes les parties prenantes directement concernées par la mise en œuvre d’un projet (équité externe). Elle envisage également un mécanisme de comparaison sociale par lequel l’individu compare son ratio coût / bénéfices à celui du promoteur de l’innovation (équité interne).

Également, le jugement de l’individu face à une innovation est influencé par le contexte social. En effet, naturellement une innovation prend vie dans un temps et dans un espace donné. Dans ce contexte, si certaines activités peuvent être considérées socialement acceptables, dans d’autres circonstances, d’autres cultures ou encore d’autres horizons temporels, ces dernières peuvent être aussi qualifiées de socialement inacceptables. En cela, l’acceptabilité sociale est contextuelle et il incombe au promoteur de l’innovation de rendre conforme son projet au regard de ce qu’attendent la société et ses membres.

  

Les facteurs déterminants de l’acceptabilité sociale de l’innovation

Le jugement de l’individu face à une innovation (faisabilité, désirabilité et équité) repose en réalité sur diverses croyances.  Il existe trois modalités de croyance relatives : aux acteurs du projet, au projet d’innovation et à l’innovation en tant que telle.

Nous pouvons distinguer en premier lieu les croyances relatives aux acteurs du projet (entreprises, institutions, Etat, influenceurs, etc.), où l’acceptabilité sociale repose essentiellement sur la confiance vis-à-vis du promoteur de l’innovation, de la crédibilité vis-à-vis des autorités de régulation.

– La confiance permet d’ouvrir un dialogue entre toutes les parties prenantes. Elle prend assise sur des actions concentrées autour de projet commun.

– La crédibilité tend à souligner le rapport de force inhérent à la légitimité du pouvoir. En effet, les usagers peuvent percevoir au travers d’interactions avec les autorités de régulation le rapport de « supérieurs » et « subordonnés », ce qui peut faire émerger un sentiment de défiance. Ainsi, les institutions, l’Etat ou les collectivités locales ne peuvent pas compter sur une « légitimité » à toute épreuve pour faire admettre leur autorité à la société.

Dans un second temps, il convient d’aborder les croyances portant sur un projet d’innovation. Ces dernières prennent appuient sur trois éléments : l’implication, l’engagement politique et idéologique et l’influence sociale.

– Les usagers n’éprouvent pas le même sentiment d’implication portant sur un projet d’innovation. Sur un même projet, certains peuvent développer un intérêt durable, là où d’autres restent désintéressés.

– L’innovation soulève des questionnements politiques. Partant de là, l’engagement politique des promoteurs ou des usagers contestataires influence les réponses qu’ils émettent face au projet d’innovation.

– Enfin, l’influence sociale joue un rôle majeur, car elle donne une impulsion à des groupes qui se développent en réponse au lancement d’un projet d’innovation (militant, activiste, etc.). Dans le cadre de l’acceptabilité sociale, un « effet de la majorité » peut être observé. En effet, lorsque les individus manque d’expertise dans un domaine, ils ont davantage tendance à se fier à la majorité des réponses émises par nos pairs. Cependant, ce constat reste à nuancer, dans la mesure où une « majorité silencieuse » peut exprimer une indifférence ou une résignation face à un projet d’innovation.

Dans un troisième temps, il existe des croyances portant sur l’innovation en tant que telle. Vraisemblablement, tous les usagers ne partagent pas le même rapport aux innovations. En cela, trois éléments peuvent venir influencer ces croyances : la connaissance, la prédisposition et l’anxiété.

– La connaissance de l’innovation est souvent inégalement répartie entre les individus. En effet, certains usagers peuvent se sentir experts dans ce domaine alors que d’autres peuvent se sentir novices. Ce sentiment de connaissance, notamment lorsqu’il est faible, peut jouer sur la méfiance ou le sentiment de vulnérabilité, et donc porter atteinte à l’acceptabilité sociale.

– La prédisposition des usagers à l’innovation désigne une certaine propension à utiliser cette dernière dans son quotidien (Parasuraman, 2000). Elle traduit alors différentes sources de motivation : l’optimisme, c’est-à-dire une vision positive des bienfaits de l’innovation ; l’innovativité, qui influence le sentiment de se sentir pionner ou leader d’opinion dans un domaine ; l’inconfort, traduisant une sensation d’être dépassé par ce qu’il se passe ; l’insécurité, indiquant un scepticisme quant à l’efficacité de l’innovation.

– L’anxiété face à l’innovation souligne la part émotionnelle impliquée dans l’innovation. Ce sentiment d’anxiété peut prendre la forme d’argumentaires et de prises de positions pouvant paraître irrationnelles, car imprégnés d’imaginaire et de symbole, notamment acquis par la science-fiction.

 

En résumé, l’innovation n’est jamais automatiquement acceptée socialement. Il devient ainsi nécessaire pour les organisations qui les portent et les promeuvent de trouver de nouveaux registres de légitimation.

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